Alors que l’Afrique centrale a vu son industrie pétrolière stagner ces dernières années, voire décroitre par la quasi absence de nouveaux champs d’exploration, l’Afrique de l’ouest bénéficie soudainement de nouvelles opportunités économiques et géostratégiques. En effet, avec la découverte en 2015 de gisements de classe mondiale au large du Sénégal, première place au top 10 des découvertes d’hydrocarbures de la dernière décennie, le bassin MSGBC annonce une probable révolution dans la cartographie des acteurs pétroliers africains. Donnée d’autant plus fondamentale pour la reprise du secteur, qui affiche en 2018 des perspectives de croissance à 7%, après une grave crise des prix du baril en 2014.
L’enjeu reste donc, comme le rappelle les institutions régionales, celui de la structuration de ces nouveaux acteurs pour les Etats d’Afrique de l’ouest, en s’inspirant à la fois des bonnes et des mauvaises pratiques de leurs voisins centre africains. C’est dans ce contexte que le Sénégal a choisi de lancer son Institut National du Pétrole et du Gaz (INPG), à la fois centre de formation et de ressources, afin d’accompagner le développement de l’Oil and Gaz tant d’un point de vue des compétences infrastructurelles et réglementaires que des capacités humaines. Une façon, pour l’Etat sénégalais, d’afficher dès aujourd’hui son ambition pour sa future industrie, dont l’exploitation ne débutera qu’en 2021, alors qu’il s’apprête à accueillir en 2019 le forum international PETROGAZ.
« La création de l’INPG est en soi un véritable indicateur de l’engagement des institutions et des acteurs privés pour ce nouveau marché. On assiste en effet à un réel engouement régional, notamment pour le bassin MSGBC, alors que les acteurs publics et privés n’y sont pas forcément préparés. Il s’agit donc de répondre à de nouveaux besoins – techniques, réglementaires, humains - clairement formulés par nos partenaires et qui cherchent dès à présent des profils locaux et hautement qualifiés. C’est justement pour favoriser au maximum l’attractivité de notre région, et plus spécifiquement de notre pays, que l'Etat sénégalais a décidé de créer l’INPG et dirige sa mise en place. »
Si l’Afrique compte actuellement 7,5% des réserves pétrolières mondiales, soit 128 milliards de barils, et 7,6% des réserves mondiales de gaz, les nouveaux bassins MSGBC pourraient déplacer durablement le centre de gravité continental du secteur vers l’Afrique de l’ouest. Ce qui pose, depuis la découverte de ces nouveaux gisements, des questions tant en termes de leadership que de collaboration régionale. En effet, pour les pays de la zone, l’industrie du gaz et du pétrole présente une opportunité réelle de soutenir des croissances encore à l’aune d’une future émergence. Mais avant cela, les Etats concernés doivent s’entendre sur le partage de ces nouvelles richesses communes. Ce qui n’est pas sans difficulté, dans un contexte tendu entre les deux leaders impétrants de la zone : le Sénégal et la Mauritanie.
Maintes fois repoussé, en raison de tensions politiques portant notamment sur la présence d’opposants mauritaniens au Sénégal ou encore sur l’expulsion de pêcheurs sénégalais des eaux mauritaniennes, un protocole d’accord sur l’exploration et l’exploitation pétrolière et gazière a finalement vu le jour le 9 février 2018, à Nouakchott, et a été ratifié en juin de la même année. Pour les deux Etats, les intérêts économiques ont été répartis équitablement, ce qui devrait permettre à chacun d’engranger près de 16 800 milliards de franc CFA, soit 30 milliards de dollars, selon le directeur général de Petrosen, la Société nationale des pétroles du Sénégal. De même, les accords prévoient de sécuriser la place du secteur public, de sorte que 52 à 66% des revenus seront fléchés via les sociétés publiques du secteur. Fort de ce premier accord de collaboration régionale, le Sénégal cherche ainsi à développer sa place à l’international, comme en témoigne la stratégie de l’INPG.
« Nous ambitionnons de devenir le leader de formation aux métiers Oil and Gaz pour toute la sous-région. Bien sûr, puisque le premier mastère spécialisé en ingénierie pétrolière et gazière est subventionné à 100% par l'Etat du Sénégal, nous avons privilégié les sénégalais lors de la sélection. Nous nous adressons d’abord aux sénégalais, mais nous ciblons aussi un public sous-régional et globalement panafricain, notamment via les pays voisins du bassin MGSBC. Enfin, nous avons déjà noué des partenariats d’accompagnement avec des grandes écoles canadiennes et britanniques, et nous envisageons à moyen terme des dispositifs de co-diplomation. L’Institut sera alors parfaitement intégré à un marché international et permettra tant à des ingénieurs sénégalais d’aller travailler à l’extérieur qu’à des ingénieurs étrangers de venir se former aux spécificités ouest-africaines. »
L’autre révolution qu’a récemment connue le secteur pétrolier reste sans contexte la révolution numérique. L’introduction de nouvelles technologies est à présent un réel facteur de différenciation pour les opérateurs pétroliers, de sorte que les dépenses IT mondiales de l’industrie pétrolière et gazière devraient atteindre 48,5 milliards de dollars en 2020. Nouvelles techniques exploratoires, forages en eaux profondes, déploiement de drones pour la surveillance et la maintenance des infrastructures, imprimeries 3D pour les pièces d’ingénierie, sans oublier bien sûr les dispositifs de Block Chain dans une logique d’optimisation des coûts… autant d’innovations qui disruptent le marché et sur lesquelles les nouveaux acteurs ouest africains devront être opérationnels.
Encore une fois, les profils qualifiés viennent à manquer, et il revient donc aux Etats de l’Afrique de l’ouest de comprendre les mutations de leur nouvelle industrie, pour à la fois favoriser la maîtrise de ces technologies tout en mettant à jour les réglementations nécessaires. Et ceci pour s’assurer d’être immédiatement compétitif au niveau international qu’il s’agisse de la qualité des infrastructures ou de celles des compétences humaines, comme le souligne le Directeur de l’INPG.
« Nos priorités de formation sont triples : garantir l’excellence des profils sur un marché hautement concurrentiel, comprendre et se former aux innovations du secteur, et assurer une réelle employabilité des publics. Nos principaux partenaires, tels que Total ou BP, ont en effet des besoins spécifiques auxquels nous formons nos futurs diplômés. Et ce à travers 3 dispositifs : un master en ingénierie pétrolière, qui accueille déjà 22 personnes pour sa première année ; un cursus centré sur les techniciens et les opérateurs qui ouvrira en 2019 ; et une formation à l’anglais technique car les marchés sont internationaux. »
Conscient du potentiel économique à tirer des ressources pétrolière et gazière, dont les réserves sont estimées à 450 milliards de mètres cubes pour le gisement en eaux profondes de Grand Tortue/Ahmeyim, le Sénégal a enfin créé dès 2016 un comité stratégique d’orientation (COS). Car dans toute la sous-région, les hydrocarbures représentent beaucoup d’espoir mais aussi beaucoup de craintes face aux risques d’une mauvaise gestion. C’est donc dans ce cadre qu’une concertation sur la gestion des revenus issus des hydrocarbures a eu lieu en juin 2018 à Dakar, avec la présence d’acteurs issus de différents secteurs d’activité, de chefs d’entreprises ainsi que de membres de la société civile.
La rencontre était présidée par Macky Sall, chef de l’Etat sénégalais, qui déclarait alors : « nous connaissons les risques auxquels font face les pays soudainement pourvus de richesses naturelles. Il est donc impératif de prendre des mesures conservatoires visant à préserver la nation de toutes les externalités négatives liées au développement de l'industrie pétrolière (…) C'est pourquoi, j'ai souhaité engager une réflexion prospective sur l'utilisation future des revenus du pétrole et du gaz, même si les premiers barils ne seront produits que vers 2021-2022 ». Et c’est ainsi que l’Afrique de l’ouest, avec le Sénégal en tête, plaide et œuvre pour le développement d’une industrie locale, pour un renforcement des institutions réglementaires et pour la promotion d’un meilleur climat des affaires dans les pays de la zone. Car il s’agit, dans ce nouvel eldorado, de savoir structurer l’ensemble des acteurs industriels, au-delà de la simple formation des publics, ce à quoi l’INPG cherche à contribuer dès son premier exercice.
« Nous pensons aussi à accompagner toutes les entreprises connexes, grâce à des dispositifs de formation continue, notamment pour les professionnels de la banque, du droit, de la fiscalité et qui auront à graviter autour de notre industrie. C’est un programme qui débutera dès notre première rentrée, 2018/2019. Notre ambition ? Contribuer à l’essor du secteur, et permettre à chacun de se mettre à niveau, car ici, le bassin MSGBC est synonyme d’une industrie naissante. »