Avec le déploiement de grands chantiers numériques et grâce à de nombreuses réformes réglementaires, l’industrie du mobile devrait générer 7,9% du PIB et créer 3,45 millions d’emplois dans la région Afrique subsaharienne d’ici 2022, avance la GSM Association dans son rapport publié en 2018. Si la croissance du secteur a été largement soutenue pendant plusieurs années par l’utilisation des services de voix, de texting, de m-banking et de téléphonie, c’est aujourd’hui une nouvelle étape qui attend le continent : celle de la fibre optique, de la TNT, de l’innovation digitale et, in fine, celle d’un consommateur ultra-connecté. Et c’est pourquoi les opérateurs de la région comme les institutions investissent massivement dans la révolution digitale, à commencer par le déploiement de nouvelles infrastructures.
« Aujourd’hui, outre le développement pourtant en cours de la 4G, les gouvernements sont unanimes sur les besoins en nouvelles infrastructures, notamment avec l’introduction de la fibre optique. Qu’il s’agisse de solutions FTTH (domestique) ou FTTO (commerciales), le déploiement plus étendu de la fibre optique doit soutenir la prochaine étape de croissance africaine du secteur numérique. Les services liés à la voix et au SMS ont en effet largement contribué à l’essor du secteur, mais aujourd’hui il s’agit de pouvoir transmettre un grand flux de données que seule la fibre optique autorise. C’est par exemple déjà le cas dans les quartiers de Cocody, en Côte d’Ivoire, ou dans certaines zones dakaroises, au Sénégal. Portées soit par les gouvernements, soit par les opérateurs, ces nouvelles infrastructures devront continuer de contribuer à l’inclusion de nos populations. »
Les nouvelles technologies ont le vent en poupe chez les jeunes africains de 15 à 24 ans. Selon l’Union internationale des télécommunications (UIT), ces derniers représentent 37,3% des usagers d’internet dans le monde alors que l’accès à cet outil reste difficile sur le continent. En effet, seulement 18% des ménages africains ont internet à la maison alors que ce chiffre atteint 84,2% en Europe. Les jeunes se connectent donc au travail, à l’école, dans les universités ou dans les espaces publics.
Par ailleurs, la technologie mobile influence considérablement les modes de vie. L’Afrique subsaharienne comptera 634 millions d’utilisateurs de mobile en 2025, soit plus de la moitié de la population de la région, indique la GSMA. De même, le trafic de données mobiles devrait être multiplié par sept d’ici 2022, selon les chiffres de Cisco, le géant informatique américain qui estimait en 2016 à +96% le taux de croissance du trafic de données mobiles en Afrique et au Moyen-Orient. Ces nouveaux usages voient ainsi émerger un consommateur africain connecté, aux besoins et aux caractéristiques spécifiques, mais toutefois pluriel, à l’image du continent.
« En Afrique, le succès des smartphones a vu éclore un nouveau profil de consommateur connecté. Son profil type ? Tout d’abord, c’est un consommateur lettré, ou du moins qui sait lire et écrire, prérequis fondamental au commerce en ligne. Secondement, il doit avoir les moyens de posséder un smartphone et un portefeuille électronique pour effectuer ses transactions, notamment en matière de paiement de factures domestiques (eau, électricité, Internet…) Je dirais donc que ce consommateur connecté est à priori plutôt urbain, plutôt jeune, utilisateur de mobile banking et suffisamment instruit. Néanmoins, il y a aussi toute une frange de la population rurale qui constitue des consommateurs avertis, plus spécifiquement dans les milieux ruraux où la consommation d’applications dédiées à l’agriculture est de plus en plus commune. »
En 2006, les 54 Etats africains s’engageaient devant l’UIT à mettre fin au signal analogique - à l’horizon 2015 pour certains et avant 2020 pour d’autres. Douze ans après, une majorité de pays enregistre un retard considérable dans le déploiement de la Télévision Numérique Terrestre (TNT), avec, au mois de mai 2018, seulement neuf Etats (Namibie, Zambie, Malawi, Swaziland, Maurice, Tanzanie, Kenya, Ouganda et Rwanda) qui avaient achevé leur transition numérique, indique une étude de Dataxis.
Outre le manque à gagner que constitue le report de la TNT pour les marchés des annonceurs, estimés à plus 3,5 milliards d’euros, c’est surtout du point de vue de la connectivité que les pertes se situent. En effet, le lancement de la TNT aurait permis de libérer les fréquences utiles au déploiement de la 4G-LTE, ce qui représente, d’après la conférence AfricaCom de 2014, une perte annuelle de 30 milliards USD pour les états subsahariens non engagés dans la transition vers la télévision numérique. Les freins sont ici tant politiques qu’économiques, alors que les investissements nécessaires à cette transition sont estimés pour les pays de l'Union économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) à 260 milliards de FCFA, dont par exemple 30 milliards rien que pour le Niger. Mais, selon Mohamed Dembelé, Associé PwC France et Afrique francophone, l’un des freins majeurs reste aussi celui de la faisabilité des projets et de la complexité des travaux.
« Le lancement de la TNT a été maintes fois repoussé dans les pays d’Afrique subsaharienne. Il faut comprendre qu’elle se confronte à deux freins. D’une part, la libéralisation tardive des fréquences qui vont à présent permettre sa diffusion, et d’autre part la prise en compte des coûts des travaux à engager. En effet, le terrassement des tranchées est le poste le plus onéreux dans la création de ce nouveau réseau, et les travaux sont parfois difficiles à réaliser… Mais là aussi, la fibre optique à son rôle à jouer, car la télévision mobile ne tient pas toutes ses promesses en termes de transmission de données. Bien sûr, il s’agit d’un nouvel outil attendu, notamment par les annonceurs qui y voient un nouveau canal de diffusion vers leurs publics cibles, dans un contexte d’érosion des audiences suite à l’avènement de l’Internet. »
L’amélioration de l’accès aux nouvelles technologies et à l’internet passe aussi par le développement d’applications dédiées aux publics africains. Encore une fois, malgré une réelle capacité d’innovation des acteurs numériques subsahariens, la question du financement reste centrale.
C’est donc dans ce contexte que de nombreuses initiatives voient le jour, avec par exemple le forum AfricaTech dont le prochain sommet aura lieu au Rwanda en février 2019 - avec plus de 100 experts et startupeurs, des investisseurs africains, des ministères, des agences gouvernementales, ainsi que des médias et des chefs d’entreprises du secteur. Autre exemple ? L’Africa Tech Now, le premier évènement mettant en avant l’innovation africaine dans le cadre du « Consumer Electronic Show » en janvier 2019 à Las Vegas, et qui assure la promotion des start-ups africaines en valorisant les spécificités de leurs innovations. Dernier exemple avec les dispositifs de l’ABAN, le réseau panafricain African Business Angels Network (ABAN), qui œuvre dans une vingtaine de pays du continent à la valorisation des opportunités d’investissement au sein des start-ups et des PME africaines. Autant d’initiatives isolées, qui, selon Mohamed Dembele, ne peuvent se passer d’une véritable vision stratégique des institutions concernées, et ce afin que ces dynamiques d’innovation soient réellement dirigées vers les besoins en connectivité du continent.
« De nombreux pays de la sous-région disposent à présent d’incubateurs, avec par exemple FJN (Fondation Jeunesse Numérique) en Côte d’Ivoire, ou encore le projet Sèmè City au Bénin. Toutefois, ces incubateurs sont presque intégralement financés par les Etats, ce qui atteste de la difficulté qu’ont les porteurs de projets à entrer en relation avec des partenaires privés. Ainsi, le financement du secteur pourrait passer par une vision plus stratégique, au service des Etats et des entreprises privées, en faisant par exemple de ces incubateurs de véritables pôles de Recherche et Développement, orientés par de vrais choix politiques, pour que l’innovation soit ainsi mieux dirigée vers les besoins du continent… »
Avec ses très fortes perspectives de croissance, l’avènement de son consommateur connecté, l’essor de la TNT ou encore le déploiement de ses services de m-banking, le numérique subsaharien reste assurément un secteur porteur et prometteur. Mais outre ses aspects purement business, l’amélioration de la connectivité sous-tend pour le continent de véritables enjeux culturels, techniques et sociologiques. Lesquels ? Par exemple : savoir redonner confiance au consommateur, lui proposer un service ininterrompu et abordable financièrement, développer des applications et des contenus qui lui soient propres… En d’autres termes penser une connectivité au service des populations, en cherchant, tant grâce aux opérateurs privés qu’aux institutions publiques, à résoudre les freins qui entravent encore le secteur.
« Il existe encore aujourd’hui de nombreux freins au déploiement de la connectivité : couverture du territoire, confiance, cherté, pertinence des offres… Globalement, ces freins se situent sur 3 axes : le développement du réseau, le développement des contenus, le développement de la confiance. Sur l’aspect réseau, il s’agit à la fois de mieux développer les infrastructures mais aussi les outils de régulation, car trop souvent les Etats restent à la traîne des innovations technologiques. Sur l’aspect contenus, il est impératif de proposer des applications ou des divertissements qui correspondent aux problématiques des africains et qui continueront de mieux leur rendre service, par exemple en soutenant mieux les talents dont regorge le continent. Ce qui nous amène enfin au troisième axe, celui de la confiance, qui a besoin d’être encore renforcée pour l’utilisateur final et ce en travaillant sur plusieurs leviers : diminuer la cherté des offres des opérateurs historiques, renforcer la cybersécurité notamment en matière de paiement, rassurer enfin sur la qualité de l’outil numérique en améliorant sans cesse l’excellence du service délivré…»