La coopération Sud-Sud, l’avenir de l’aide au développement ?

La coopération économique et politique entre pays africains et pays émergents a évolué de manière significative au cours de ces dernières années.

Lors du forum de coopération Afrique-Chine, organisé en septembre 2018 à Pékin, le pays hôte a accueilli 53 représentants d’Etats africains et promis de débloquer 60 milliards de dollars supplémentaires. De quoi ouvrir de nouvelles perspectives pour les dirigeants et investisseurs présents. Pour la neuvième année consécutive, la Chine reste donc le premier partenaire commercial de l’Afrique. Une situation sur laquelle s’interrogent les spécialistes : la coopération Sud-Sud pourrait-elle petit à petit constituer une alternative à la traditionnelle coopération Nord-Sud? Et bien que le volume des investissements vers l’Afrique subsaharienne ait explosé depuis vingt ans, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, met cependant en garde sur les responsabilités de chacun : « la coopération Sud-Sud ne doit pas être un instrument pour mettre de côté les engagements pris par les pays développés, et la contribution au développement de la part du Nord ne doit pas cesser si l’on veut soutenir une mondialisation équitable. »

Les partenariats se diversifient

Pour réaliser ses objectifs de développement durable, l’Afrique a ainsi besoin de 600 milliards d’investissement annuel. Une somme que les aides au développement ne peuvent pas combler. Pour beaucoup, l’usage des partenariats public-privé (PPP) contribuerait donc à accélérer les investissements et combler le retard en termes d’infrastructures. Mais ce, à condition d’avoir des emplois inclusifs, un transfert de technologie et un suivi sur le long terme. Les pays d’Afrique subsaharienne doivent de plus se doter d’un cadre juridique et d’une volonté politique dans ce sens - pour rassurer les investisseurs. Ce que confirme Ghislaine Djapouop, associée chez PwC RDC, également spécialiste de l’Afrique centrale.

« L’aide au développement est en train d’évoluer. La plupart des bailleurs de fonds essaient davantage de trouver des formules qui mettent l’accent sur les résultats et l’impact. Cela change la manière dont l’aide est dispensée. A mon avis, c’est une excellente pratique d’avoir une vue claire des impacts et des résultats attendus pour les fonds qui sont mis à disposition des pays. Pour le moment, la coopération Sud-Sud ne peut pas encore supplanter la coopération Nord-Sud. Si les pays africains mettent en place une planification plus efficace, identifient et priorisent mieux leurs besoins, alors ils pourraient s’appuyer sur la coopération Sud-Sud pour faire avancer le développement dans des secteurs où ils n’auraient peut-être pas de financements venant de la coopération traditionnelle ».

Ghislaine Djapouop, associée PwC RDC

L’essor des BRIC

Ces dernières années, les pays d’Afrique subsaharienne se sont donc tournés vers la coopération Sud-Sud. Le groupe non homogène de ces nouveaux acteurs comprend aussi bien les pays des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) que d’autres économies dynamiques comme celle de la Corée du Sud. Ou encore la Turquie - pays qui a vu ses échanges commerciaux avec l’Afrique passer de 5,4 milliards de dollars en 2003 à 23,4 milliards de dollars en 2014. Selon le secrétaire de l’ONU, ces partenariats sont importants car « ils contribuent à la consolidation de la croissance du continent et permettent à ces Etats de bénéficier de l’expérience et de l’assistance des pays en développement. » 

La coopération Sud-Sud a ainsi pris un envol remarquable, qui s’explique par un contexte économique et géopolitique mondial particulier. A l’heure où les pays développés sont en crise et se replient sur eux-mêmes, les BRIC n’hésitent pas à investir sur le continent en apportant leur expérience, leurs capitaux et leur savoir-faire en matière de nouvelles technologies. Les investissements des pays en développement en direction du continent atteignent donc des records. Plus particulièrement avec la Chine… De nombreuses entreprises publiques chinoises sont en effet à l’origine des grands projets en Afrique subsaharienne, qu’il s’agisse de construction de routes, de voies ferrées, de ports, de champs pétroliers ou encore de centrales électriques.

Le géant chinois

Selon la dernière Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique s’élèveraient actuellement à 200 milliards de dollars. Cette place de leader, dans les dispositifs de coopération Sud-Sud, tient assurément à certaines particularités que présente le pays : un coût des financements favorable car les taux d’intérêt des prêts chinois sont bas, des produits de base compétitifs car venant de Chine à bas coût, des délais de construction réduits compte tenu des capacités humaines et technologiques mises à l’œuvre. Et contrairement aux acteurs du Nord, la Chine, comme d’autres pays partenaires des Etats africains, n’imposent pas de conditions politiques en contrepartie de leurs investissements sur le continent. De plus, les financements dans les infrastructures et les prêts octroyés aux pays africains permettent au géant chinois de bénéficier des ressources naturelles dont il a besoin pour sa propre économie. Par exemple, en 2015, les matières premières représentaient 83% du total des exportations africaines vers la Chine, selon une étude de la Banque mondiale.

Au Nigéria, la Chine a par exemple participé au programme de modernisation des voies ferrées avec le lancement du premier train à grande vitesse de la région. La ligne longue de 190 kilomètres relie la capitale Abuja à l’Etat de Kaduna dans le nord du pays. Le projet mené par la China Civil Engineering Construction Corporation a coûté 850 millions d’euros, une somme qui a fait l’objet d’un prêt à hauteur de 80% octroyé par une banque chinoise. Le reste étant payé par le gouvernement nigérian. Autre exemple chinois sur le continent ? La nouvelle route de la soie qui concerne principalement les pays de l’Afrique de l’Est (Kenya, Ethiopie et Djibouti) bénéficiant de 13 milliards de dollars d’investissements chinois. De nouvelles infrastructures donc, et qui permettent à Pékin de fluidifier son commerce international et donc d’exporter plus facilement ses produits vers le continent africain.

Des partenariats mutuellement bénéfiques?

« Il est vrai que certains programmes de coopération peuvent provoquer des réactions de la part des partenaires traditionnels. Cependant, je pense que a coopération Sud-Sud ne représente pour le moment qu’une petite partie de l’enveloppe qui est disponible pour les pays, particulièrement les pays africains, et donc l’impact sur le terrain est limité. Le fait que d’autres pays en développement soient capables d’apporter une aide - qui n’est pas aussi conditionnée que celle des pays du Nord - bouscule un peu la pensée établie par rapport à la façon dont devrait fonctionner la coopération »

Ghislaine Djapouop, associée PwC RDC

Très critiquée, la Chine a peu à peu pris la mesure des revendications de la société civile concernant la création d’emplois locaux, la responsabilité sociale des entreprises et le transfert de savoir-faire et de technologie. Le pays communique davantage sur les activités de ses entreprises et met en avant la formation des étudiants dans plusieurs centres à travers l’Afrique, (Nigéria, Afrique du Sud, Kenya) par le géant des télécoms Huawei. Selon des chercheurs, 80% de la main d’œuvre employée dans le cadre de projet chinois serait locale même si elle n’occupe pas les postes à responsabilités. De même, lors du dernier sommet Afrique-Chine à Pékin, le pays s’est aussi engagé à effacer la dette sur les prêts sans intérêts remboursables à la fin 2018 pour les pays africains les plus pauvres. Pour montrer sa bonne volonté, la Chine a enfin annoncé le lancement de 50 projets de développement durable et de protection de l’environnement sur le continent. Malgré tous ses efforts, la Chine reste pourtant un partenaire qui fait débat, mais qui permet de financer des infrastructures à l’heure où les relations avec les bailleurs de fonds internationaux sont parfois insuffisantes. Face aux besoins en investissement sur le continent africain, d’autres pistes existent pourtant, notamment grâce aux nouvelles démarches d’intégration régionale.

L’enjeu de l’intégration régionale

« Faciliter les échanges entre pays africains, mettre en place de meilleures infrastructures et investir dans les vrais pôles de croissances est primordial »

Secrétaire de l’ONU

C’est pourquoi l’intégration régionale est portée par quelques pays qui ont compris la nécessité de développer les relations avec leurs voisins du Sud. Et notamment par le Maroc, dont le retour au sein de l’Union africaine – avec un accord de principe à son adhésion à la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l’Ouest – a marqué l’année 2017.

Selon les chiffres de l’Office des changes Marocain, les échanges commerciaux entre le Royaume chérifien et l’Afrique subsaharienne ont connu une croissance annuelle de 9,1% entre 2008 et 2016. En 2015, 97,2% des Investissements directs étrangers marocains (IDE) en Afrique étaient dirigés vers la zone subsaharienne. Soit 40% du total des IDE marocains à l’étranger, précise le même office. Ainsi, le Royaume est surtout présent dans le secteur bancaire, la télécommunication, les assurances, l’industrie et l’immobilier, ce qui lui permet de devenir le premier investisseur africain en Afrique.

Toutefois, si le volume des échanges interrégionaux est passé de 10% en 1995 à 18% en 2015, des difficultés restent perceptibles à l’échelle de la région. Par exemple, les produits exportés, généralement des matières premières, ne sont pas complémentaires, et les droits de douane restent élevés, ce qui constitue un frein au développement des échanges commerciaux. Pour Ghislaine Djapouop, des efforts sont donc encore à faire, en Afrique de l’ouest comme en Afrique centrale.

« En Afrique Centrale, la coopération régionale avance tout doucement si on la compare avec l’Afrique de l’Ouest où la libre circulation des personnes et des biens est actée, et où les échanges commerciaux entre les pays de la région sont un peu plus développés. C’est plus lent en Afrique centrale, où, par exemple, un accord sur la libre circulation des personnes signé en 2013 après des décennies de négociations par les pays de la CEMAC, vient juste de commencer à être mis en œuvre fin 2017. En Afrique de l’Ouest le principe de libre circulation est entériné depuis 1993 mais des obstacles demeurent. Il y a encore beaucoup de choses à faire en matière d’échanges commerciaux entre les pays africains… »

Ghislaine Djapouop, associée PwC RDC

Vers une vision commune

Pour soutenir le développement de ces échanges, les pays africains cherchent donc à bâtir une vision commune. Comme par exemple en 2016, lorsqu’en marge de la COP22, organisée à Marrakech, une vingtaine de chefs d’Etats et de gouvernements africains ont participé à l’African Action Summit. Outre les négociations urgentes en matières climatiques, cette première édition a surtout permis de recentrer les discussions sur le continent : bâtir une réflexion commune sur les questions de financement, de transfert de technologies, de développement durable, et plus largement de coopération internationale et intra régionale.

Ainsi, par le développement continuel des relations Sud-Sud, l’Afrique jette les bases d’un nouveau modèle d’aide au développement. Un modèle moins contraignant, plus réactif, dans lequel des pays voisins mettent en commun des intérêts réciproques et complémentaires. Une autre façon de penser la coopération et de maintenir le cap vers l’émergence subsaharienne.


Modèle de coopération triangulaire 

La coopération Sud-Sud et la coopération triangulaire sont de nouvelles formes de structuration de l’aide au développement. Dans le modèle de coopération triangulaire, la collaboration de deux ou plusieurs pays en développement est accompagnée par un pays développé ou une organisation internationale qui fournit un appui financier ou technique.

Et les initiatives ne manquent pas. Avec par exemple, le projet de coopération triangulaire entre le JICA (Agence japonaise de coopération internationale), le Brésil et le Mozambique, pour transformer la savane du Mozambique en terre cultivable. Autre exemple ? En Août 2018, la Chine, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et la RDC ont conclu un accord pour le transfert de connaissances et l’introduction des nouvelles technologies pour améliorer la sécurité alimentaires des populations congolaises. Ce type de coopération permet donc d'élargir les partenariats et de promouvoir le partage mondial de l'expertise et du savoir. Elle donne aussi l’opportunité aux pays du Sud de partager les approches et les techniques ayant réussi dans des pays aux profils similaires - et non pas d’importer des solutions parfois inadéquates. Une bonne utilisation de ce mode de coopération pourrait contribuer à améliorer l’efficacité de l’aide au développement.

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Georges-Louis Levard

Associé, PwC Afrique Francophone

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